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Ernst Toller (1893-1939)

Dramaturge, poète et militant socialiste allemand, Ernst Toller estné en 1893 à Samotschin, en Prusse orientale, dans une famille decommercants juifs. Lorsque la Première Guerre éclate, il est étudiantà Grenoble ; il regagne alors son pays et décide, afin de prouverson patriotisme, de s’engager dans l’armée allemande comme volontaire. Il combat sur le front de l’ouest jusqu’en 1915 mais,confronté aux atrocités de la guerre, il est terrassé par une crisecardiaque dont il se remettra ; la guerre et ses visions d’horreurdéclenchent ce qu’il appellera “sa conversion” : désormais, la paix,seule, sera le moteur de son existence.Dès 1916, Toller veut oublier la guerre. Il étudie le droit, la littératureet la sociologie à Munich. Il milite dans les milieux pacifistes, fréquente, à Berlin, les dirigeants socialistes et s’attache surtoutà l’humaniste et poète Kurt Eisner.En 1917, il est accusé de haute trahison pour avoir milité et rédigéun pamphlet en faveur de la paix ; il est définitivement exclu del’armée et fait trois mois de prison. Quelques temps après, il prendpart à l’établissement de la République des conseils de Bavière, auxcôtés de certains anarchistes comme Gustav Landauer et ErichMühsam. Après l’assassinat de Kurt Eisner, en 1919, il dirige la sectiondu Parti socialiste indépendant à Munich. Humaniste avant tout, illibère des otages, refuse les exécutions capitales, s’attirant ainsila méfiance des extrémistes. Bien vite, cette république sera écrasée par l’intervention des corps francs. Sa tête est mise àprix ; il est arrêté, inculpé de haute trahison et condamné à cinqans de réclusion en forteresse.C’est en prison qu’il rédige la plus grande partie de son oeuvre dramatique, notamment La Conversion,L’Homme et la Masseet Hinkemann En 1924, à sa sortie de prison, il est expulsé de Bavière. Ses piècesremportent un réel succès : elles sont traduites en 27 langues etjouées dans plusieurs villes d’Europe. Il voyage en Russie, en Franceet aux États-Unis. Humaniste et pacifiste engagé, il participe à plusieurs congrès, notamment aux côtés de Nehru. Il est aussi l’amide Gandhi, de Franz Mehring et d’Alfons Goldschmidt.En 1933, ses oeuvres sont brûlées sur la place publique ; Tollerquitte définitivement l’Allemagne, part pour la Suisse et dénonceles crimes nazis. Il voyage en Europe, s’exile aux États-Unis, travaille pour la Metro-Goldwyn-Mayer. Dès 1938, grâce à ses interventions auprès de Roosevelt, il fonde une association pourvenir en aide à la population civile en Espagne. Il rédige son autobiographie et sa dernière pièce, Pasteur Hall, qu’il terminera quelques années plus tard.Désespéré par le triomphe du nazisme et de Franco, séparé de safemme et sans argent, il se pend dans une chambre d’hôtel à New York,le 22 mai 1939.

 Douleur de l’enfance... Je pense à ma première jeunesse, à la douleur de l’enfant que lesautres gosses traitaient de “juif”, à mon dialogue enfantin avecl’image du Sauveur, à l’affreuse joie que j’éprouvais lorsque jen’étais pas reconnu comme juif, aux jours du début de la guerre età mon désir passionné de prouver en risquant ma vie que j’étaisAllemand et rien qu’Allemand. J’avais écrit du front au tribunal pourdemander que l’on me raye des listes de la communauté juive. Toutcela était donc inutile ? Ou bien me suis-je trompé ? Est-ce que je n’aime pas ce pays, est-ce que je n’ai pas éprouvé, au milieu du richepaysage méditerranéen, la nostalgie des maigres forêts de pinssablonneuses, de la beauté des lacs sereins et secrets du Nord del’Allemagne ? Les vers de Goethe et d’Hölderlin que je lisais, enfantéveillé, ne m’ont-ils pas ému, suscitant en moi un sentiment de gratitude ? La langue allemande n’est-elle pas ma langue, celle danslaquelle je sens et pense, parle et agis, n’est-elle pas partie de monêtre, patrie qui m’a nourri et où j’ai grandi ?Mais ne suis-je pas aussi Juif ? Ne suis-je pas un membre de ce peuplepersécuté, chassé, martyrisé et assassiné depuis des siècles, dontles prophètes ont lancé à la face du monde un cri de justice que lesmalheureux et les opprimés ont repris et continué pour tous lestemps, dont les plus valeureux ne se sont pas soumis et sont mortsplutôt que de ne pas rester fidèles à eux-mêmes ? J’ai voulu renierma mère et j’en éprouve de la honte. Qu’un enfant ait été poussésur le chemin du mensonge, quelle effroyable accusation contretous ceux qui y ont été pour quelque chose !Suis-je pour autant un étranger en Allemagne ? La fiction du sang a-t-elle seule pouvoir de témoignage ? Et pas le pays où j’ai grandi,l’air que j’ai respiré, la langue que j’aime et l’esprit qui m’a formé ?Est-ce que je ne lutte pas, en tant qu’écrivain allemand, pour lapureté du mot et de l’image ? Si quelqu’un me demandait “dis-moi oùsont les racines allemandes en toi et où sont les juives”, je resteraismuet.Dans tous les pays, lèvent la tête et s’agitent un nationalisme faitd’aveuglement et un ridicule orgueil racial, dois-je prendre part à lafolie de ce temps, au patriotisme de cette époque ? Ne suis-je pasaussi socialiste parce que je crois que le socialisme surmontera lahaine entre les nations, tout comme celle entre les classes ?Les mots “je suis fier d’être Allemand” ou “je suis fier d’être Juif”sont pour moi aussi stupides que si quelqu’un disait : “Je suis fierd’avoir les yeux bruns !”Dois-je tomber dans la folie des persécuteurs et, au lieu de la prétention allemande, faire mienne la juive ? L’orgueil et l’amour nesont pas la même chose et si l’on me demandait de quel côté je suis,je répondrais : une mère allemande m’a mis au monde, l’Allemagne m’anourri, l’Europe m’a élevé — la terre est mon foyer, le monde ma patrie. Ernst TollerExtrait d’Une Jeunesse en Allemagne, trad. Pierre Gallissaire, Éditions l’Âge d’Homme,coll. GERMANICA, 1974

Souvenirs de guerre...

“Une nuit, nous entendons crier, comme si un homme était en proie à d’effroyables souffrances, puis c’est à nouveau le calme. Un quiaura été blessé à mort, pensons-nous. Une heure plus tard, les crisrecommencent. Il ne s’arrêtera plus maintenant. Pas cette nuit,ni de la nuit suivante. Sans aucune parole, ce cri selamente et nous ne savons pas s’il sort de la gorge d’un Allemand oud’un Français. Il a sa vie propre, il accuse la terre et le ciel. Nousnous pressons les poings contre les oreilles pour ne pas entendrece gémissement continuel, mais ça ne sert à rien, le cri tournecomme une toupie dans nos têtes, transformant les minutes en heureset les heures en années. Nous nous desséchons et vieillissons d’ungémissement à l’autre.Nous savons qui crie, c’est un des nôtres, il est accroché aux barbelés, personne ne peut le sauver, deux ont essayé et ont ététués, un quelconque fils de sa mère lutte désespérément contre lamort, diable ! Il en fait une telle affaire, nous allons tous devenirsfous, s’il crie encore longtemps.Au bout de trois jours, la mort lui ferme la bouche.Je vois les morts et je ne les vois pas. Enfant, j’ai vu dans les foiresde ces musées de l’épouvante, où l’on montrait des mannequins encire représentant les empereurs et les rois, les héros et lesassassins du moment.C’est la même irréalité, provoquant le frisson et non la pitié, qu’ontles morts.Je fouille le sol de la tranchée avec la tige de mon fusil. La pointed’acier se prend, je tiraille et la sors d’un seul coup. Il y pend unnoeud gluant et je me rends compte en me penchant que ce sontdes intestins humains : un mort est enfoui là.Un homme — mort.Pourquoi est-ce que je m’arrête ? Pourquoi ces mots m’obligent-ils àm’arrêter, pourquoi oppressent-ils mon cerveau avec la force d’unétau, pourquoi me serrent-ils la gorge et le coeur ?Trois mots, pourtant, comme n’importe quels autres.Un homme mort — je veux arriver à oublier ces trois mots qui mesubjuguent et m’écrasent.Un homme mort.Un homme mort.Et soudain, comme si les ténèbres se séparaient de la lumière et lemot du sens, je saisis la simple vérité de l’homme que j’avais oubliée,enfouie, ensevelie qu’elle était, l’élément commun, l’Un qui unit.Un homme mort.Pas un Français mort.Pas un Allemand mort.Un homme mort.Tous ces morts sont des hommes, tous ces morts ont respiré commemoi, tous avaient un père, une mère, des femmes qu’ils aimaient, unmorceau de terre où ils prenaient racine, des visages sur lesquelsse lisaient leurs plaisirs et leurs peines, des yeux qui voyaient lalumière et le ciel À l’heure qu’il est, je sais que j’étais aveugle,parce que je m’étais aveuglé, je sais enfin que tous ces morts,Français et Allemands, étaient frères et que je suis leur frère.” Ernst TollerExtrait d’ Une Jeunesse en Allemagne, trad. Pierre Gallissaire, Éditions l’Âge d’Homme,coll. GERMANICA, 1974

Jeunesse et activisme politique:

 

Toller naît à Samotschin, dans la province de Posen, à l'époque en Prusse, aujourd'hui en Pologne, en 1893, dans une famille juive. Au déclenchement de la Première Guerre mondiale, il s'engage comme volontaire dans l'armée, combat treize mois sur le front de l'ouest, avant de subir un effondrement physique et moral. Son premier drame, Transformation (Die Wandlung), est directement inspiré de ces expériences de guerre.

Toller se mêle en 1919 à la république des Conseils de Bavière avec d'autres figures anarchistes, comme B. Traven, le Ministre-Président Kurt Eisner et Gustav Landauer, et des communistes. Cette république a une existence brève, avant d'être écrasée par l'intervention des corps francs. Il est arrêté pour sa participation à la révolution. Condamné à mort, sa peine est commuée en cinq ans de prison.

 

Théâtre:

 

Pendant son emprisonnement, il achève Transformation, qui est jouée pour la première fois à Berlin en septembre 1919, sur une mise en scène de Karlheinz Martin. Pour la 100e de Transformation, le gouvernement bavarois offre son pardon à Toller qui le rejette en solidarité avec les autres prisonniers politiques. Toller a écrit la plupart de ses textes les plus célèbres en prison, notamment les drames L'Homme des masses (Masse Mensch), Les Briseurs de machine (Die Maschinenstürmer), Hinkemann, l'Allemand (Der deutsche Hinkemann) et nombre de poèmes. Il ne voit aucune de ses pièces avant son élargissement, en juillet 1925. Cette année-là, le plus célèbre de ses drames, Hoppla, nous sommes vivants! (Hoppla, wir leben!), mis en scène par Erwin Piscator, est joué à Berlin. C'est l'histoire d'un révolutionnaire qui, après avoir passé huit ans dans un hôpital psychiatrique, découvre que ses anciens camarades sont devenus suffisants et se sont désespérément compromis avec le système auxquels ils étaient opposés. De désespoir, il se tue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Exil:

 

En 1933, Toller s'exile d'Allemagne. Ses ouvrages sont interdits de publication par le nouveau pouvoir national-socialiste qui lui retire la citoyenneté allemande à la fin de l'année. Il part pour Londres et participe comme co-metteur en scène à la production de sa pièce Retire les tisons du feu (Feuer aus den Kesseln) à Manchester en 1935. Il engage une série de conférences aux États-Unis et au Canada en 1936-1937, avant de s'installer en Californie, où il travaille à des scénarios qui ne sont pas produits. Toller s'installe en 1936 à New York, où il vit au milieu d'un groupe d'artistes et d'écrivains en exil comme Klaus et Erika Mann, Therese Giehse... Enfoncé dans une profonde dépression (sa femme l'a quitté pour un autre homme) et des soucis financiers

(il a donné tout son argent aux réfugiés de la guerre d'Espagne), il se pend dans sa chambre d'hôtel, le 22 mai 1939.

 

Œuvres:

 

  • Die Wandlung, 1919

  • Masse Mensch, 1921

  • Die Maschinenstürmer, 1922

  • Hinkemann (à l'origine Der deutsche Hinkemann), Uraufführung 19 septembre 1923

  • Hoppla, wir leben, 1927

  • Feuer aus den Kesseln, 1930

  • Eine Jugend in Deutschland, 1933 (Autobiographie), Amsterdam

  • Briefe aus dem Gefängnis, 1935, Amsterdam

  • I was a German, 1934, (Autobiographie), New York

Ernst Toller aux côtées de Max Weber

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