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Les combats du Bois le Prêtre

 

 D’après Maître Charles François, Notaire à Pont-à-Mousson et Colonel de réserve

Témoignage d’un soldat de la 73ème Division d’Infanterie

Le bois le prêtre est un massif forestier de 800 hectares, au nord-ouest de Pont-à-Mousson, dominant à l’est la vallée de la Moselle, s’avançant en pointe vers le plateau de Haye ; son point culminant est la Croix des carmes, 372 mètres, a peu près l’altitude de la colline de Mousson, de l’autre côté de la Moselle.

 

Ce fut l’un des points de friction les plus notoires dans la guerrre de position en 1915, avec l’Argonne, les Eparges, la foret d’Apremont et l’ Hartmannswillerkopf ; sur ce front étroit, il a été engagé en dix mois 132 actions, offensives ou défensives ; les pertes ont été effroyables : 7083 morts du côté français, 6982 du côté allemand.

 

La bataille a été menée de notre côté par la 73ème Division d’Infanterie de Toul, commandée par un chef éminent, le Général Lebocq. Il lui a été reproché d’avoir engagé des attaques infructueuses, mais il n’a jamais agi que sur des ordres formels de la 1ère Armée, et souvent à son corps défendant ;

Le Général Lebocq était au contraire très soucieux de la vie et des souffrances de ses soldats, il s’immisçait continuellement dans la préparation des ordres d’attaques, en vue d’atténuer les risques.

 

Le Q.G n’a-t-il pas envoyé un message la veille de l’attaque du 30Mai 1915, pour nous dire que le Général Joffre voulait que l’on enlève le Quart de Réserve à tout prix ? Espérons que le rédacteur de l’ordre n’avait pas bien pesé ses mots.

J’ai combattu au Bois le Prêtre pendant huit mois en 1915 et y ai même été blessé ; particularité curieuse, j’avais depuis un an une part de chasse dans ce bois.

 

Du côté allemand, nous avions devant nous, tout au moins au début, les37ème et 46ème régiments d’infanterie, dépendant du Vème corps de Posen ; les unités entre Moselle et Meuse était sous le commandement du Général Von Strantz ; mentionnons que ce dernier fonda par la suite une petite université à Conflans-Jarny, à l’usage de ses soldats, ce qui lui valut après la guerre d’être élu membre de l’académie littéraire de Berlin.

 

Ce qui frappait le plus, dans une visite au Bois le Prêtre, au lendemain de la guerre, c’était la faible profondeur de la zone dévastée : voici Montauville, qui n’a jamais été évacué de ses habitants, toute la violence de la bataille s’est en effet concentrée au sommet du bois, mais là elle a tout anéanti.

 

C’est une des anomalies de ses combats de 1915, à 1km des premières lignes, on se lave, on discute, je dirai même en témoin oculaire, on s’amuse… en 1915 le Président Poincaré vient distribuer des croix sur la tranchée de Fey, en 1916, Sarah Bernhard excursionne au Père Hilarion.

 

Peu de bataille entre artilleries : 63 artilleurs tués sur 7000 combattants, on se bat sauvagement entre fantassins, à coups de crosses, à coups de couteaux, à coups de n’importe quoi : voilà la guerre au Bois le Prêtre.

 

 

Les préliminaires :

 

Aussitôt après la bataille de la Marne, les Allemands tentèrent de pallier leur échec en cherchant à forcer le passage de la Meuse, vers Saint-Mihiel, pour prendre à revers la 3ème Armée du Général Sarrail, qui se battait toujours devant Verdun.

 

Ils lancèrent le 08 Septembre, un peu hâtivement, une première offensive sur les Hauts-de-Meuse, entre Saint Mihiel et Verdun, et voulurent s’emparer du fort de Troyon ; celui-ci était un petit ouvrage d’une garnison de 250 hommes, mais avec une vingtaine de canons bien approvisionnés et surtout commandé par un chef habile et énergique, le capitaine Heym, du 166ème R.I

 

Les allemands écrasèrent le fort sous les obus de pièces lourdes, amenées spécialement de Metz, puis lancèrent une attaque de deux bataillons qui parvint jusqu’au pont levis ; mais ils furent repoussés, perdant de leur propre aveu 600 tués ou blessés selon un Général.

 

La 73ème division, qui était stationnée sur le plateau de Haye, devant Toul, fut embarquée d’urgence dans quatre gares, et débarquée à Saint-Mihiel, quatre de ses bataillons attaquèrent le 12 septembre de part et d’autre du Fort et refoulèrent les Allemands jusqu’au pied du promontoire de Hattonchâtel, capturant deux canons de 305.

Le Fort de Troyon restera inviolé jusqu’à la fin de la guerre.

 

Le Commandement allemand monta alors une nouvelle offensive, plus étoffée et mieux préparée, en direction cette fois du Sud de Saint-Mihiel. Il put s’emparer ce cette ville ainsi que du Fort du Camp-de-Romains et créer une petite tête de pont sur la Meuse.

 

La 73ème Division avait été ramenée sur le plateau de Haye, son chef, le Général Lebocq voyant défiler devant lui ces masses allemandes, lança ses troupes le 20 Septembre dans le flanc de l’ennemi, de sa propre initiative, ce qui lui valut des démélés avec le Commandant de l’armée, qui aurait aimé bénéficier seul de la réussite de l’opération.

Les Allemands firent front avec le XIVème coprs d’armée et rejetèrent en deux jours la division sur la ligne Martincourt-Bernécourt, mais nous nous sommes fort bien repris et avons à notre tour rejeté l’ennemi sur six kilomètres de profondeur, du 22 au 25 septembre, lui reprenant Flirey, Limey, Lironville , Mamey et l’acculant aux lisières du Bois le Prêtre.

 

Les combats de ces cinq derniers jours nous ont malheureusement coûté 3500 tués ou blessés, tombés surtout sous les tirs de mitrailleuses, c’était le dur apprentissage de la guerre.

 

 

 

La possession des lisières :

 

Le 2- septembre, la brigade mixte de Toul ( 167ème,168ème et 169ème R.I) incorporée jusqu’en Juillet 1915 dans la 73ème Division et qui deviendra à ce moment la 128ème Division, prend pied dans les Bois du Pouillot, à l’Ouest de Montauville ; les unités se détachement du lieutenant-colonel de Revel, qui prolongent cette brigade jusqu’à la Moselle, s’emparent du mamelon Vert (une section du 167ème) et du mamelon Vide-Bouteille (une compagnie du 47ème territorial).

 

Mais les combats sévères du plateau de Haye ont modéré l’ardeur  des bélligérants et, pendant tout le mois d’octobre, Français et Allemands ne s’aventurent qu’avec une prudence de gardes nationaux. De notre coté, la brigade mixte progresse à la sape, tout doucement, au milieu des fourrés de Gloriaucote et de la Fontaine-des Cerfs, les Allemands ne réagissent que par des patrouilles pas trops méchantes.

 

Nous dépassons le champ de tir de la garnison de Pont-à-Mousson (dont les grandes pancartes : Attention, danger. Tirs le mercredi et vendredi de 4h à 6h, plantés jusqu’à la Croix-des-Carmes, ont fait la joie des soldats pendant toute la guerre ; le 27 octobre, nous trouvons enfin le contact avec un ennemi organisé, au sud de la tranchée forestière de Fey ; un ennemi pas trop susceptible d’ailleurs, puisque certains Allemands viennent nous informer que nous attachons trop nos fils de fer barbelés, et nous donnent gentiment une démonstration de pose.

 

Le 29 octobre, au point du jour, une section du 167ème, commandée par le lieutenant Chéry, enlève un fort poste allemand au saillant que forme le bois à l’entrée de la route du Père-Hilarion, au-dessus du cimetière actuel du Pétant ; les sentinelles ennemies, debout au pied des arbres, ont été surprises et l’opération a été menée habilement et sans pertes ; quant au Allemands, il leur en a couté 2 morts et 13 prisonniers.

 

Dès le lendemain, du Quart en réserve au mamelon de Vide-Bouteilles, nos unités poussent de l’avant ; à gauche la tranchée forestière de Fey est largement dépassée, à droite, deux bataillons (167ème et 346ème) s’emparent des lisières sud-est du Bois.

 

Le 1er novembre, un bataillon du 167ème (commandant Duchossoy), atteint en lisière les premières maisons du Haut-de-Rieupt ; mais l’après-midi, les Allemands réagissent vigoureusement ; nous organisons alors le terrain conquis et resterons sur nos positions de lisière pendant tout le cours du mois de novembre.

 

Jusqu’ici, pas trop de casse, sauf le dernier jour : nous pratiquons une bonne guerre à l’ancienne mode, avec toutes les règles du jeu. Un chef de bataillon peut faire remettre aux Allemands des missives pour son frère, qui porte le même grade dans l’armée ennemie, et le commandant d’Espezel de la Roquetaille peut prétendre faire le coup de poing avec les Allemands dans des maisons du Haut-de-Rieupt, pour leur démontrer la supériorité de la civilisation latine sur la kulture.

 

En somme, le travail réalisé est efficace ; nous avons pris contact avec l’ennemi, et notre pression l’empêche de se livrer à des projets fâcheux. Notre avance nous permet de se livrer à des projets fâcheux. Notre avance nous permet d’envisager avec optimisme le développement d’une offensive engagée sous l'œil favorable des dieux, comme se dirait exprimé Jean-José Frappa, ancien combattant du Bois-le-Prêtre.

 

Les combats du Père Hilarion :

 

 

En Novembre 1914, nos troupes  sont arrêtées devant un saillant ennemi fortement organisé, en travers du ravin du ruisseau du Père Hilarion.

Ce nom est celui d’une fontaine et d’une maison forestière construite tout à côté, en souvenir

d’ermites qui se sont succédés pendant deux siècles dans une grotte voisine, le dernier ermite s’y trouvait encore en  1840. Ils avaient pris le nom de Saint qui fut le compagnon de Saint Antoine.

 

Les Allemands avaient amassé devant leurs lignes de forts abatis et d’importants réseaux de fil de fer, ils avaient agréablement meublé leurs tranchées et leurs abris au moyen de matelas, d’armoires et de nombreuses commodités prélevées dans les villages des environs.

 

Nous attaquerons ce saillant le 7 décembre avec sept bataillions commandés par le Lieutenant-Colonel Pourel.

Six pièces de 90, des vieux canons de Bange amenés de l’arsenal de Toul sont poussés dans nos premières lignes à l’extrémité de la tranchée de Pont-à-Mousson, une de ces pièces sera même glissée sur le chemin de mousse jusqu’à 22 mètres d’un poste de mitrailleurs Allemands.

 

Huit petits mortiers de 15cm en bronze, datant de Louis-Philippe appuieront eux aussi l’élan de l’infanterie. A gauche de l’attaque, les canons de 155 de la Division batteront en rocade le saillant ennemi réglés par un officier d’artillerie qui se dissimulera dans une baraque en bois, 40 mètres devant notre ligne d’infanterie.

Au cours de la nuit du 6 au 7, nos sapeurs bourrent des charges de mélinite sous les abatis adverses.

 

Le 7 décembre à 8 heures tout cet orchestre entre en action, notre infanterie suit les projectiles et refoule les Allemands sur 300 mètres de profondeur. Le lendemain, même dispositif et même résultat, le sur-lendemain  nous enlevons une tranchée du saillant et arrivons ainsi à la maison forestière, avec la 23ème Compagnie du 356ème R.I, commandée par le Capitaine Saint- Germain, qui deviendra par la suite Général.

La maison du Père Hilarion et la fontaine ont donc été conquises par une progression bien réglée et pour ainsi dire mathématique et non par un coup de surprise.

 

A ce propos, détruisons une légende ! Des imaginatifs ont affirmé qu’à la fontaine du Père Hilarion, Français et Allemands allaient chercher l’eau et que, par la suite d’une trêve tacite, des propos idylliques s’échangèrent entre adversaires.

Il n’y a qu’une objection à cet émouvant tableau, c’est qu’il fut matériellement impossible…  Jamais la fontaine ne s’est trouvée entre les lignes. Ne fabulons pas.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si des échanges de politesses eurent lieu autour d’une fontaine, ce qui parait plus que douteux ce ne peut être qu’en septembre à l’une des sources de Gloriaucote, ou en octobre, a l’une de celles du Haut-de- Rieupt. Mais nous ne voyons pas pourquoi l’un de ses adversaires aurait éprouvé le besoin d’aller prendre le goût des eaux du voisin, alors qu’il y en avait derrière lui à sa disposition.

 

Les Allemands, après avoir lâché le Père-Hilarion, n’avaient d’ailleurs qu’une préoccupation, celle de repasser au meilleur compte la tranchée forestière menant au Haut-du-Rieupt, laquelle était battue généreusement par plusieurs mitrailleuses et une pièce de 90, disposé au carrefour au dessus de la sapinière.

 

Le 09 et 10 décembre, nous attaquerons à nouveau dans ce coin du Haut-de-Rieupt, enlevons les premières lignes allemandes du Bois Meunier, que des ennemies plus coriaces défendent pied à pied.

Mais le repli allemand, accéléré par nos tirs de flanquement, prend l’allure d’une débandade. L’ennemi s’égaille dans les taillis du Bois-de-la-Ville, vers Norroy et Villers-sous- Prény, nos patrouilles battent le bois en tout sens. Le Bois le Prêtre est il à notre merci ?

Pas encore. Un tel résultat, acquis rapidement, nous déconcerte, le jeu n’a pas été régulier, les prévisions voulaient une résistance plus efficace, un déroulement plus classique. Et puis nous redoutons un traquenard : les allemands se sont défendus avec énergie jusqu’au Père Hilarion et il est étrange que leur combativité se soit effondrée dès la fontaine du Saint-ermite. Ajoutons que ces six jours de combat incessant et meurtrier, dans un bois difficile, ont fatigué nos hommes et leurs ont quelque peu brisé les nerfs.

 

Bref nous hésitons, nous délibérons et au bout d’une dizaine de jours, quand nos patrouilles déploient à nouveau leurs antennes, elles retrouvent les allemands établis à la crête du bois, qui se hâtent de creuser de profondes tranchées, à l’abri de masques de feuillage.

 

Le combat du Père Hilarion, monté avec minutie par le Général Lebocq, représente pour nous un grand succès, nous avons démontré une nette supériorité sur l’adversaire, le refoulant à chaque assaut. Nous avons montré toute notre science devant la double difficulté d’une guerre sous bois et d’une guerre de tranchée, dans lesquelles les allemands avaient une juste réputation de primauté. Au point de vue gain de terrain, notre progression a été de 1500 mètres en moyenne sur un front de 4 Kilomètres, résultat qui, eu égard à nos faibles moyens en artillerie, nous permet de témoigner une admirative gratitude à nos brillants frères d’armes en 1914.

 

La Bataille pour la ligne de crête :

 

 

 « Du mois de décembre 1914 au mois de mai 1915, ce ne sont qu’attaques, contre-attaques, corps à corps, explosions de mines, éclatements de bombes et de grenades. Nous avançons, nous reculons, nous avançons de nouveau et des trésors de courage, de patience et de sang s’épuisent dans ce long piétinement. »

 

Ces émouvantes paroles du Président Poincaré décrivent en un saisissant raccourci la grandeur et la misère des combats du Quart en Réserve, la véritable bataille du Bois le Prêtre.

 

Il n’est pas un mètre carré dans cette partie du bois, qui n’ait été arrosé de sang, le sol y a été trituré de façon effroyable, à Verdun même, il est rare de trouvé une zone de combat où l’action ait été aussi acharnée, certains éléments de tranchées ont été pris et repris quinze fois.

 

La bataille a duré du 8 Janvier au 15 Août 1915. A part des actions intermittentes sur le Haut-du-Rieupt, à Fey-en-Haye et à Regniéville, elle s’est concentrée sur la ligne de crête passant l’éperon hors bois, prolongeant le Quart-en-Reserve vers l’Ouest ; au total un front d’a peine 1500 mètres de longueur sur une profondeur de 600 mètres, variant de la tranchée forestière de Fey à la route de Fey à Norroy.

 

Au sujet de la Croix des Carmes, notons qu’il ne s’agit pas d’un vieux monument au passé historique :

Les Carmes Déchaussés de Pont-à-Mousson l’avaient placée au XVIIIème siècle en bordure d’n de leurs bois, enclavé dans le massif forestier, elle devait être renouvelée tous les 15 ans par les adjudicataires des coupes de bois ; celle qui est entrée dans l’histoire n’était qu’une croix rustique en morceaux de chêne mal équarris, datant de 1908.

 

Il existait au Quart de Reserve, 3 grandes lignes de défense allemandes, en négligeant les tranchées accessoires. De notre côté, dix-huit régiments d’infanterie vont s’user dans ce creuset, les allemands feront des sacrifices équivalents.

Y’avait-il véritable utilité à la possession de la ligne de crête ? En toute impartialité, il faut convenir que non.

Sa conquête ne nous aurait permis que des vues très étriquées sur les massifs forestiers, où les allemands pouvaient se retrancher dans d’excellentes conditions.

 

Aucun des deux adversaires, s’il avait pu s’assurer de la totalité du Bois le Prêtre, n’aurait obtenu des vues meilleures que celle qu’il possédait déjà, non plus que des positions de batteries plus favorables.

L’état-major de l’armée en a décidé autrement, escomptant que l’effet moral de la perte du Quart ferait craquer tout le front allemand devant Thiaucourt ; espoir naïf qui n’avait sa raison d’être que dans des exemples de la guerre en dentelles.

 

Le déroulement de l’action :

 

 

Les tranchées françaises étaient établies à une centaine de mètres des tranchées allemandes depuis le début du mois, la 2ème compagnie du 168ème ouvre les hostilités le 08 janvier 1915 en enlevant l’ouvrage A5 sur la lisière Ouest du Quart.

 

Les 17 et 18 Janvier, le 168ème et le 353ème R.I enlèvent la ligne des A et la ligne des P ; cette dernière est reprise par l’ennemi le 20 et sert d’enjeu à de sanglants combats qui dureront 6 semaines.

 

Le 1er Mars, les Allemands font sauter 5 fourneaux à mines à la Croix des Carmes, sous la ligne des Z, le 3ème bataillon du 167ème et la capitaine Pierrard réoccupe notre tranchée dans l’après-midi.

Pendant tout le reste du mois, activité intense de bombes aériennes et de mines souterraines.

Deuxième phase de la bataille, la 73ème Division attaque pour soutenir les opérations de la 1ère armée sur la hernie de Saint-Mihiel.

 

Le 30 Mars, à 8h45, le 167ème du Colonel Etienne s’empare d’une partie de l’éperon hors bois et de la ligne des 8, réaction très violente de l’ennemi.

Le lendemain, le 5ème bataillon du 346ème du Commandant Rozier atteint la ligne C, le Lieutenant Devernois du 167ème réussit un brillant fait d’armes au secteur hors bois. A 21h, cinq compagnies du 169ème, sous le commandement du Lieutenant-Colonel Mondain, enlèvent le village de Fey-en-Haye.

 

L’attaque, ainsi fort bien engagée, ne peut plus néanmoins progresser, malgré nos efforts acharnés, parce que les batteries de 155 qui l’appuyaient sont retirées du secteur. Et cependant, le 10 Avril, le bataillion Wirtz, du 356ème et la compagnie Maixe, du 169ème réussirent une brillante progression au secteur hors bois.

Nous nous arrêtons alors pour souffler, en même temps que la 1ère armée ; « Souffler » est une expression imagée car nous aurons en dix-huit jours à repousser neuf attaques allemandes.

 

Troisième phase de nos attaques : le 1er Mai, le 168ème et le Commandant Leroy enlève la ligne des 9, le 12 Mai en fin de journée, le 169ème atteint la ligne des C mais une violente contre-attaque le ramène en arrière.

 

Le 15 Mai à 5h, l’ennemi attaque l’éperon hors bois, après avoir fait sauter quatre fourneaux de mines, après diverses alternatives, le 353ème maintient ses positions. Dans l’après-midi, le 167ème et un bataillon du 169ème prennent la ligne des C. La bataille est alors d’une activité prodigieuse et il ne se passe pas un jour sans attaque de part et d’autre, appuyées par de multiples engins.

 

Le 27 Mai, le 167ème et le 367ème atteignent la route de Norroy, que nous perdons puis reprenons le 30 Mai (167ème et 356ème) et perdons encore le 1er Juin. Enfin, le 08 Juin nous attaquons dans le secteur de la Croix des Carmes, après avoir fait sauter sept fourneaux de mines et exécuté un tir d’artillerie de 90 minutes, le Commandant Rozier avec le 3ème bataillon du 167ème et  le 5ème  bataillon du 346ème s’emparent de trois lignes de tranchées ennemies.

 

Pour la première fois depuis le mois de Janvier, les allemands ne réagissent pas. Nous avons l’impression de les avoir lassés, d’arriver à nos fins.

 

Mais infidélité du dieu Mars, la Division reçoit dès le lendemain l’ordre de s’en tenir à une stricte défensive et pour plus de sureté, on lui retire une grande partie de son artillerie ; les 167ème, 168ème et 169ème RI quittent le secteur et sont remplacés par la 16ème Division d’infanterie coloniale.

 

L’ennemi surpris par l’arrêt brusque de l’offensive se ressaisit, pendant les trois dernières semaines de Juin, il écrase nos positions sous les projectiles, nous faisant perdre 1000 hommes, tués ou blessés et ne nous laissant pas le temps de réparer nos tranchées.

 

Le 04 Juillet, une puissante attaque allemande permet à nos adversaires de reprendre la majeure partie du terrain que nous avions acquis avec tant de peine depuis six mois. Ce n’est plus qu’un chaos, où les trous d’obus se touchent, où l’on ne distingue plus les tranchées, mais nous y laisserons le souvenir de tant d’héroïsme que la perte de ces quelques centaines de mètres de front est pour tous les Loups du Bois le Prêtre un douloureux arrachement.

 

Le 08 Juillet, les allemands attaquent encore de part et d’autre de la tranchée forestière des Carmes et progressent vers le Père Hilarion, le jeu des contre-attaques limite leur avancé à 100 mètres de profondeur. Jusqu’au 15 Août, ils prononceront encore une dizaine d’attaques partielles, sans résultats.

 

Puis c’est fini : une époque violente sera, pour l’un comme pour l’autre des belligérants, sans profit et sans lendemain ; tant de morts et tant de souffrances n’auront servi que la grande cause du devoir.

Mais les survivants garderont la conscience d’un effort prodigieux et cela leur servira jusqu’ à la fin de la guerre, au Bois le Prêtre ils étaient allés jusqu’à la limite des forces humaines.

 

La Période calme :

 

 

Pendant les derniers mois de 1915, de violents soubresauts agitent encore le secteur, mais aucune attaque n’est poussée à fond, les adversaires paraissent en avoir reconnu l’inutilité. Jusqu’à la fin de la guerre, il n’y aura plus que de petites actions intermittentes, patrouilles et coups de mains et des bombardements, ceux-ci assez sévères et toujours réservés aux malheureuses premières lignes.

 

Les tranchées adverses, à la suite des combats se trouvent à très courtes distance, parfois une dizaine de mètres et nos guetteurs peuvent entendre tousser ou fredonner ceux d’en face ; en plusieurs endroits il faut abriter les sentinelles sous des treillages, appelés prosaïquement « cages à poules », pour les protéger des grenades.

 

Les tireurs moyens réussissent de jolis exploits avec une bonne provision de patience ; des tireurs d’élite allemands se distraient même à tuer des hommes des corvées d’eau du Père Hilarion, à mille mètres et il faut écraser leur blockhaus à coups de torpilles pour leur enlever l’idée de recommencer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On se livre aussi à de longs duels au moyen de sournoises grenades à fusil, de mines en forme de tuyaux de poêle qui voltigent en l’air comme de curieux bâtonnets de jongleurs et surtout de terribles torpilles de 240mm qui transforment un abri et ses occupants en une masse boueuse.

 

A partir de 1916, neuf divisions françaises viendront tenir successivement le secteur aux lignes désormais immuables, en été 1918, c’est une Division américaine qui s’y installe.

 

En Septembre 1918, nos alliés s’aperçoivent un beau jour que les allemands se sont volatilisés, la poursuite ne permet de les retrouver que dans la forêt des Venchères, à 4kms.

 

Le Bois le Prêtre s’est laissé reprendre en sourdine, sans un coup de fusil, comme lassé de son ancienne violence guerrière.

 

Les combattants :

 

 

Ce qui m’a frappé chez mes excellents camarades de la 73ème Division, c’est l’application, la conscience voire même la passion qu’ils apportaient à l’exercice de leur devoir. Sur aucun autre front, sinon à Verdun, je n’ai trouvé un pareil souci minutieux d’organisation, une semblable solidarité dans la défense des moindres morceaux de tranchées, une aussi grande volonté de tenir à tout prix.

 

Peut-être entrait-il dans cet état d’esprit quelque sentiment de piété douloureuse pour ce bois sacré où tant de combattants sacrifièrent leur jeunesse.

 

Nous avons appelé plus haut quelques paroles de Raymond Poincaré, nous ne saurions mieux terminer cet aperçu que par une nouvelle citation de notre éminent compatriote :

 

  « De toute les visions d’horreur que la guerre m’a offertes, c’est au Bois le Prêtre que j’ai vu les plus effroyables. J’y suis allé plusieurs fois et j’ai vu aux premiers jours d’hiver nos soldats merveilleux d’endurance au milieu de l’humidité et de la boue. Mais la visite qui m’a le souvenir le plus ému, je l’ai faite un jour d’été, par une chaleur torride, alors qu’à la lisière des bois les mouches bourdonnaient autour des cadavres couverts de branchages et que le soleil dardait sur les tranchées que ne tamisaient pas les arbres dépouillés par la pluie d’obus. Je montai jusqu’aux premières lignes, en suivants les boyaux où la température était celle d’une fournaise, et je trouvai, derrière les créneaux, des hommes qui au milieu des blessés non encore évacués et des morts non ensevelis, veillaient tranquillement à la sécurité de leur position. C’était des soldats de cette 73ème Division d’Infanterie qui a si vaillamment défendu Pont-à-Mousson jusque dans le courant de 1915. Ils étaient là, debout, attentifs, le regard fixe, indifférent à tout sauf à leur consigne et à leur devoir, véritable image de la patrie aux aguets. »

 

Hommage qualifié, hommage déférent, hommage mérité aux combattants, auxquels les Allemands ont si justement donné le nom de Loups du Bois le Prêtre.

 

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